vendredi 17 février 2012

Belle du Seigneur d'Albert Cohen


La couverture de Belle du Seigneur dans la
collection Folio
Il m’aura fallu quelques semaines pour me décider à écrire ce billet ! Et il n’y a pas là que l’effet d’un manque de temps, car l’œuvre me laisse partagé. Partagé entre ses nombreuses et indéniables qualités d’une part, et d’autre part une certaine irritation à l’égard de son personnage principal, Solal, le seigneur de la belle Ariane.

Bien des qualités donc, puisque qu’Albert Cohen trace à la fois un vivant tableau de la Société des Nations, des intrigues de cour des fonctionnaires de celle-ci, le portrait d’un parfait petit-bourgeois arriviste que l’on surprendra de trouver parfois touchant, voire même sympathique, et la fresque d’une histoire d’amour passionnelle!

Passionnelle et d’emblée destructrice, puisque née sous les funestes signes de la tyrannie des apparences, du mythe de la séduction permanente et du refus obstiné du quotidien. Autant d’éléments qui vont conduire Ariane et Solal à la souffrance et à l’épuisement.

Et c’est ici que survient l’irritation, car le seigneur Solal a tout prévu, pense avoir tout vécu et surtout est persuadé d’avoir tout compris. Doté d’un intellect cynique, Solal observe tout au long de sa relation avec Ariane chaque attitude, chaque travers, chaque enchaînement aussi, qui viennent conforter sa vision désabusée de la relation amoureuse.

Loin de réagir, de briser le schéma comme l’on espère plus d’une fois qu’il le fera, Solal semble bien plutôt observer son développement et se repaître de la satisfaction de voir confirmées ses prévisions. Plus encore, il entretient le schéma de ses propres actes, de ses propres mots, comme pour se voir conforter dans sa conviction de l’impossibilité d’une relation amoureuse qui fut heureuse.

C’est donc une intelligence noire que l’on voit à l’œuvre au cours de ce roman à la langue brillante. D’autant plus noire qu’elle veut s’abstraire de la lumière des sentiments et de la chaleur du moment présent. Un intellect forcené, une logique qui - à force de ne pas se laisser perturber - en vient à tourner en vase clos, à dessécher l’humain qui la cultive et croit s’en nourrir.

2 commentaires:

  1. Ce livre, que j'ai lu passionnée, est une ode démoniaque à la noirceur du monde. Une critique acerbe de la passion amoureuse et celle de la société des apparences, de l'argent, du qu'en dira-t-on...
    Solal, dans les descriptions terriblement insupportables qu'il fait des faits et gestes d'Ariane ne fait pourtant que se venger et se protéger sans doute d'une société où rien ne compte plus que l'apparence et la supériorité que l'on peut prendre sur les autres. Sous certains aspects ce livre me fait penser à Mme Bovary, la passion destructrice et pourtant inévitable que l'Homme connait depuis toujours. Cette passion incontrôlable d'une part, l'esprit froid et calculateur d'une autre et la bêtise hilarante ou terrifiante du dernier fait de ce livre une merveille explosive, un chef-d'oeuvre! Ne parlons pas des descriptions à chaque fois prodigieuses de Cohen aussi bien quand il parle de Mangeclous, du petit Deume ou de tous ces personnages presque secondaires qui rajoutent à ce livre une réelle profondeur!

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    1. Merci pour ce fort bel éclairage et pour l'occasion qu'il me donne de préciser que - malgré l'irritation dont je fais part plus haut - Belle du Seigneur m'a également passionné.
      J'ai en effet lu cet ouvrage porté par la beauté de la langue, par les audaces stylistiques de Cohen et par l'espoir de voir s'équilibrer en Solal intelligence, émotions et sentiments...

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